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La Tribune Humaniste

Les Lumières ne sont pas mortes, l'Humanisme est plus que jamais d'actualité. La Tribune Humaniste a vocation à ouvrir un nouveau regard sur l'actualité.

{tribune | 4} La théorie du partage

Publié le 12 Novembre 2017 par L'équipe LTH

{tribune | 4}
La théorie du partage


Internet, est le média absolu. Internet reprend le schéma d'un canal de distribution de l'information depuis une source unique vers des récipiendaires multiples. Le média est historiquement impersonnel, dans le sens où il n'y a pas d'interlocuteurs, mais un locuteur et un destinataire sans échange personnel possible. Ce n'est pas un échange, c'est une communication.

Internet ne change pas au premier abord ce rapport de locuteur/destinataire, mais donne à n'importe qui la possibilité d'être le locuteur. Nous sommes tous les journalistes de notre propre vie, distribuant à intervalle irrégulier, des nouvelles fraiches sur notre quotidien à un lot de lecteurs, qui eux-même distribuent leurs nouvelles.

Dans un second temps, et seulement quand les sujets sont connexes, deux locuteurs peuvent être amenés à échanger par le biais de commentaires dans une discussion publique, ou par le biais de messages privés. On a alors quitté le domaine du média et on entre dans la correspondance.

Mais, alors qu'à titre d'exemple jusqu'à 60% de la population française était illettrée il y a 200 ans, comment expliquer le succès d'un média reposant encore récemment exclusivement sur l'écriture ?

Quelle motivation pousse des millions d'individus à écrire, photographier, filmer et diffuser leur vie tels des reporters en mission ?

Là où tout un chacun se plait à exposer que le monde actuel pousse à l'individualisme et à l'égocentrisme, cet engouement pour internet comme un moyen de partage n'est-il pas, plutôt qu'un signe d'égocentrisme généralisé, le témoignage d'un besoin de se connecter à l'humanité toute entière ?

 

[Etude : une approche de l'illettrisme en France :

https://histoiremesure.revues.org/816]

 


1/ Je vis, donc je partage

Même avec des difficultés pour appliquer les règles standard de l'orthographe, tout le monde accède aujourd'hui à internet, et tout particulièrement aux réseaux sociaux, afin de poster des nouvelles sur sa vie.

Aucun critère n'est retenu : ni l'intérêt, ni la nouveauté, ni la qualité ou le niveau de détail. Qu'il s'agisse d'un texte engagé de plusieurs dizaines de lignes, ou d'une interjection accompagnée d'un emoji, toute publication est diffusée avec des taux d'audience qui pourraient faire pâlir certains médias classiques.

 

Ce qui est intéressant ici, ce n'est pas fondamentalement le message qui est véhiculé, mais le désir de partage. Ce désir de parage témoigne d'un besoin intime et profond de ne pas vivre les choses seul, mais d'être accompagné, vu et particulièrement de ne pas être oublié.

On entend souvent dire, dans le registre très connu du "c'était mieux avant", que les gens ne se parlent plus et que la société d'aujourd'hui poussent les gens à la solitude. Et si, la solitude avait toujours été de mise mais que, par la force du nombre, et par l'omniprésence d'Internet, cette solitude était devenue visible ?

Oui, un individu peut faire le choix de se couper de ceux qui sont à côté de lui. Mais c'est aussi parce qu'il assume et embrasse le rejet de sa situation, et qu'il trouve par internet et son smartphone une échappatoire, et systématiquement des gens qui lui ressemble avec qui partager, et parfois correspondre.

Internet ne détruit pas le lien social. Il en construit un autre qui déverrouille la géographie et les systèmes de castes. Peu importe que tu sois né dans une ville bondée ou dans une campagne isolée, dans un quartier pauvre ou dans un milieu riche et guindé : il n'y a plus de facteurs limitant, tu as le droit de partager ta vie avec qui tu veux, où qu'il soit et d'où qu'il vienne.

 

[Les nouvelles technologies et le lien social :

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/11/05/les-nouvelles-technologies-favorisent-elles-le-lien-social_1263121_651865.]

 

2/ Emancipation et recherche d'équilibre
 

Libérés d'un carcan, nous assistons à une perte totale de repères. C'est le premier prix de la liberté acquise sans y avoir été préparé. L'individu se retrouve projeté au milieu de millions d'autres, dont les codes sont différents, dont l'histoire personnelle est inconnue et pour qui l'autre n'est qu'une silhouette impersonnelle.

Chacun va alors tenter de rompre ce déséquilibre en se démarquant, en s'identifiant et en exposant ses propres codes. Dans une phase d'ajustement, chaque individu va vivre une phase de remise en question parfois complètement inédite.

"Quelle est la valeur de ce que je crois savoir, si eux ont des codes complètement opposés aux miens ? Ai-je raison face à eux tous ? Ai-je toujours été dans l'erreur ? Y a-t-il à travers le monde d'autres personnes comme moi ?"

Et la réponse est oui. Il y a d'autres personnes avec des codes similaires. Et l'enjeu n'est pas de les trouver, mais de construire un nouveau système de codes avec ceux qui différent de nous.

Face à l'inconnu, nous disposons de deux choix, celui de fuir ou celui de l'embrasser. L'accès à la diversité du monde par internet est un dopage de notre subconscient. Notre cerveau est inondé d'informations nouvelles, de concepts inconnus, d'opinions divergentes. C'est une occasion inespérée pour progresser et faire un bond en avant.

Une grande partie des concepts qui construisent nos micro-sociétés sont liés à une connaissance réduite du monde extérieur. En nous émancipant de ces concepts et en intégrant la diversité de ce qu'est autrui, nous établissons la base d'une société globale d'individus indépendants.

 

[Génération Y et nouveau monde :

http://www.huffingtonpost.fr/remy-oudghiri/pourquoi-la-generation-y-aujourdhui-est-pas-les-jeunes-d-hier_a_21897734/]

 

3/ La recherche de soi
 

Dans cette nouvelle perception des choses, la micro-société dans laquelle nous grandissons fait office de cocon, avec des codes et des valeurs imposées dès la naissance, qui apparaissent alors à l'individu comme des vérités générales.

Une fois défait de ce cocon, après avoir été exposé à la diversité des autres, c'est l'identité même de l'individu qui est mise à mal. Un travail considérable commence, où chacun devra faire un tri entre ce qu'il identifie comme le caractérisant ou comme lui étant imposé.

D'une part des résidus de son carcan originel, qui après examen de conscience correspondent effectivement à des valeurs qui lui conviennent, d'autre part des notions nouvelles importées et réinterprétées depuis ce que lui disent les autres de leur propre carcan natif : voilà la base de construction de l'individu exposé au monde.

C'est un processus violent et non-maîtrisé, à ce titre source d'un malaise profond et palpable qui justifie la présence toujours plus importante des psychanalystes, coachs, psychologues et autres spécialistes de l'état d'esprit.

L'identité se développe à la façon d'un organisme exposé violemment à des rayonnements extérieurs pour lui permettre de se révéler. C'est cependant une étape de renforcement nécessaire.

Mais la recherche de soi n'implique pas l'unicité de l'individu. Le but n'est pas de troquer un carcan contre un autre. L'ouverture des perspectives doit permettre à l'individu d'explorer et d'exprimer sa pluralité, c'est à dire sa capacité à être inconstant et à assumer la diversité de sa propre condition et de son être.

 

[Internet et identité :

http://barthes.ens.fr/scpo/Presentations00-01/Nowak_identite.html]

 

Par le partage, nous confrontons chaque jour une version de nous-même à la pluralité d'autrui à la façon d'un crash-test, et ce non pour se détruire mais pour s'enrichir et s'identifier soi-même.

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