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La Tribune Humaniste

Les Lumières ne sont pas mortes, l'Humanisme est plus que jamais d'actualité. La Tribune Humaniste a vocation à ouvrir un nouveau regard sur l'actualité.

{tribune | 1} Un monde horizontal

Publié le 19 Août 2015 par L'équipe LTH in Tribune

Alors que les États semblent basculer vers un securitarisme invasif et liberticide, les sociétés privées il y a encore peu réputées dangereuses pour la vie privée deviennent les derniers garants de la liberté individuelle.

La position des entreprises supranationales met en lumière le désarroi des États du XXeme siècle dans un monde où des milliards d'individus tendent à vivre, penser et s'exprimer émancipés du joug illégitime de certains gouvernements et agences publiques.

Non que le fait que la défense des droits de l'Homme semble être pris en charge par des individus issus du privé soit rassurant, ceux-ci étant tout aussi subjectifs et volatils qu'illégitimes démocratiquement, c'est là cependant la preuve d'une désolidarisation complète entre les classes dirigeantes, membre de la Justice, du Législatif comme de l'Exécutif, et les populations peu importe leur niveau social, qui faisant du droit de s'exprimer l'un de leur droits fondamentaux ne trouvent pour les soutenir que des ONG relativement impuissantes et des compagnie privées (de Twitter à Google) dont la moralité ne tient qu'aux bonnes intention de leur créateur et dont personne ne peut répondre pour l'avenir.

1/ Cryptage des telephones

La situation est illustrée dans l'article du Monde du 11 août 2015 portant sur l'association de plusieurs représentants des justices américaine, française et espagnole pour dénoncer l'entrave qu'est le chiffrement des téléphones portables aux enquêtes anti-terroristes et à la surveillance des individus dangereux.

Deux visions s'opposent ainsi, l'une défendant le besoin et la légitimité de l'accès à toute donnée personnelle durant une enquête afin de protéger les populations, l'autre arguant que le choix de la sécurité ne doit pas se faire aux dépends du viol de la vie privée.

[L'article : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/08/11/chiffrement-des-telephones-le-procureur-de-paris-rejoint-la-lutte-contre-apple-et-google_4721095_4408996.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed#link_time=1439320920]

Or, ce débat intervient alors que les faits ou velléités de surveillance de masse, dont les justifications sont parfois tendancieuses, ce sont multipliés au cours des derniers mois, impliquant notamment les trois pays précédemment cités : écoutes ciblée des dirigeants européens par la NSA, Loi sur le Renseignement français ou encore renforcement des systèmes de surveillance numérique en Espagne.

[L'article : https://www.laquadrature.net/fr/une-dangereuse-loi-anti-partage-en-espagne]

2/ Surveillance de masse

L'inquiétude que suscitent ces pratiques vient du besoin profond d'intimité et de vie privée que chacun éprouve, et des menaces de fichage et de surveillance arbitraire qui réveillent chez tous les européens des souvenirs glaçants.

L'image d'un large filet de pêche ratissant les fonds marins a été évoquée pour parler de ces surveillances de masse. Tout le monde connait les dégâts qu'engendrent ces méthodes, et si elles permettent bien d'attraper leur cible, les victimes collatérales sont innombrables et les dégâts irréparables.

Demandez au corail ce qu'il en pense.

Loin de ces douceurs océanes, il est question ici de la potentielle constitution de bases de données sans date de péremption et sans critères clairs définissant quelle information est pertinente ou non.

Sans avoir quoi que ce soit à cacher, il est alors toutefois légitime de ne pas vouloir laisser accès à l'intégralité de notre vie.

[L'article : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/06/09/oui-la-loi-sur-le-renseignement-prepare-bien-une-surveillance-de-masse_4650358_3232.html]

On rétorquera alors que si nous refusons ces informations personnelles aux États, gouvernés par nos élus, nous les offrons sans sourciller à des compagnies privées dont le premier fond de commerce a toujours été l'information.

Et c'est pour le moins paradoxal.

3/ Libre-arbitre

La différence vient peut-être d'un apparent libre-arbitre, car c'est moi et seulement moi qui choisis de mettre mon nom, ma date de naissance et avec qui je suis en couple sur Facebook. A chaque fois que je publie la moindre donnée il est nécessaire que je garde à l'esprit qu'elles sont alors dans une forme de sphère publique, et qu'en conséquence j'en perds le contrôle.

La facilité avec laquelle nous livrons des informations personnelles sur Internet est liée à deux comportements de la vie réelle :

- nous remplissons des formulaires internet comme des formulaires administratifs, nos administrations nous ont accoutumé dès l'école à remplir encore et encore des questionnaires sur notre identité

- nous publions nos photos et nos humeurs comme nous parlerions sur la place du village, à la pause café ou à la plage avec nos amis

Si le fait que toutes ses informations ne nous appartiennent plus une fois publiées est parfois oublié, cela n'en demeure pas moins un choix (nous signons après tout des conditions générales d'utilisation sans jamais les lire).

Par ailleurs dans un système basé sur la monétisation de l'information, le plus offrant pourrait tout simplement acheter ces bases de données. A nous donc de nous poser la question : que sommes-nous prêts à montrer ?

Le problème se modifie et devient plus épineux lorsque l'on aborde les téléphones mobiles. Connectés à Internet ils nous permettent de partager avec cette nouvelle sphère publique, mais également devenus des extensions de notre mémoire, ils contiennent des informations précieuses et parfois intimes. L'accès à ces dernières données n'est pas libre : il est actuellement limité par un système de cryptage dont le code est de nous seuls connus (et c'est assez récent). Dans une certaine mesure nous confions également ses informations aux géants privés tels qu'Apple ou Google ; mais ce sont des lots de données cryptées.

[L'article : http://www.nextinpact.com/news/89979-android-l-activera-par-defaut-chiffrement-integral-donnees.htm]

Ce que demandent les autorités c'est la clé. Et elle la demande au sociétés qui gardent nos données sans nous en informer. Pourtant quand la police entre chez vous c'est avec un mandat, et celui-ci vous est remis à vous et pas au propriétaire de votre immeuble...

4/ Le nouveau pouvoir

L'information, qui la détient et qui en fait usage, est depuis longtemps connue comme étant le 4ème pouvoir circulant autour de l'Exécutif, du Législatif et de la Justice. Elle fait et défait les gouvernements et articule les guerres.

Mais aujourd'hui l'information a changé d'échelle et changé de mains. Les 3 pouvoirs étatiques se trouvent face à un nouveau pouvoir, un pouvoir privé qui, maître des flux d'information navigue a priori inatteignable dans la sphère mondiale.

Les sociétés privées seraient-elles en train de prendre le pas sur les structures politiques ? Ou l'ont-elles déjà fait ?

C'est la question qu'expose la Quadrature du Net sur Mediapart, décrivant un système sans Etats, issu d'entreprises conquérantes et de classes politiques démissionnaires.

[L'article : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/300715/google-le-reve-de-vivre-sans-etat]

Si alors les Etats renoncent à leurs devoirs et tentent de s'arroger des droits sur notre vie privée, jaloux du pouvoir que nous donnons aux sociétés privées; et que d'autres part les sociétés privées étendent leur influence, non pas forcément animées de mauvaises intentions mais au pire par une quête du profit et au mieux par un utopisme technophile, c'est alors bien à nous, citoyens du monde, une fois de plus que revient la responsabilité de définir l'avenir de nos sociétés.

Car si les classes politiques sont en grande parties issues de nos votes, les entreprises supranationales le sont sur nos achats. Tout aussi bien que le citoyen doit théoriquement pouvoir impulser le changement de son système politique, il peut modifier le système économique à la racine duquel il se trouve.

5/ Citoyenneté numérique

Libre à nous de confier ou non nos informations aux géants, de choisir son vrai nom plutôt qu'un pseudonyme comme nous le faisions au début d'Internet, d'indiquer où nous vivons, travaillons, partons en vacances...

Libre à nous de stocker nos informations chez un seul opérateur ou d'utiliser plusieurs services, de choisir une marque exclusivement à une autre ou de multiplier les supports, de renoncer à la concurrence et à nos droits en tant que consommateurs ou de la faire jouer et inciter ainsi les entreprises à travailler dans notre sens, afin de satisfaire nos demandes - ce qui est l'essence même d'une société de service.

Lorsqu'une entreprise comme Microsoft installe et diffuse un système d'exploitation qui semble mettre en danger notre droit à la vie privée, comme cela serait le cas de Windows 10 qui collecte automatiquement et via chaque application et logiciel installé des informations personnelles, ainsi que l'indique la CNIL, c'est à nous utilisateurs responsables de nos actes de faire le choix de limiter ces fonctions ou de porter notre attention vers d'autres marques et d'autres systèmes d'exploitations. Il n'est pas de message plus clair pour une entreprise que l'échec commercial d'un de ses produits, d'autant plus si cet échec est lié aux nouvelles fonctionnalités qu'elle y installe.

[L'article : http://www.cnil.fr/documentation/fiches-pratiques/fiche/article/regler-les-parametres-vie-priveede-windows-10/]

6 / Le dernier mot

En conséquence, dans le combat pour la défense de notre vie privée et contre l'hyper-surveillance, si les supranationales peuvent être un allié face à certains Etats, il faut garder à l'esprit qu'elles sont et ont toujours été un allié intéressé. La garantie de la protection de nos données est en définitive un argument commercial de plus qui nous incitera à aller vers eux.

Internet est un monde horizontal constitué d'une infinité de chemins qui nous conduisent les uns aux autres. Quand les Etats tentent vainement d'y instaurer des péages et des postes de contrôle qui seront contournés irrémédiablement, les Supranationales construisent des routes plus belles, plus rapides et plus efficaces, pour autant ces routes ne sont pas les seules voies possibles et c'est à nous seuls de choisir.

Peu importe ce que sera le monde et l'Internet de demain, c'est nous qui auront le dernier mot.

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